Par Emmanuel Roy.
Quelques notes sur la relation aux archives
Les archives sont émouvantes car elles confirment l'existence d'un passé peuplé d'autres vivants. D'autres ont vécu. Sans ces traces, nous pourrions toujours avoir un doute. D'autres hommes ont regardé avant nous. D'autres hommes ont eu le désir d'inscrire ce regard sur un support. Ils cherchaient à comprendre, comme nous. Nous ne sommes pas les premiers.
Les archives ne sont pas pour autant sacrées. Le temps leur donne un lustre qu'elles ne réclament pas. Une archive n'est qu'un fragment d'une actualité qui n'est plus. C'est notre regard qui la sacralise, bien souvent trop plein du respect dû aux anciens. Rien ne nous empêche de lui porter un regard critique. Rien ne nous oblige à la regarder, s'il n'y avait cette curiosité tenace, ce désir de comprendre.
Les archives ne sont que des bribes de regards. Il n'y a donc pas plus – ni moins – de réalité ou de véracité dans l'archive que dans toute autre production de l'esprit humain. Chaque archive est le fruit d'une intention et d'un processus de fabrication.
Les archives appartiennent à tous. Elles sont une mémoire commune et quasiment universelle. Le temps en fait disparaître les auteurs, peu à peu. Chacun de nous, par son regard unique, peut en devenir l'auteur, s'il le désire. Nous pouvons les réinterpréter à notre guise, leur insuffler notre énergie propre, les tordre avec nos interrogations au présent.
A première vue, les archives peuvent paraître étrangères. Car, à de rares exceptions près, elles ne représentent ni nous, ni nos proches, ni nos parents, ni nos grand-parents. Et nous ne les avons pas fabriquées. Elles sont pourtant une part de nous, qu'on le veuille ou non. Elles nous invitent à voir plus loin que notre enveloppe limitée et notre courte ascendance. Elles nous invitent à nous replacer dans une continuité plus vaste, à nous situer dans l'espace et le temps.
Quand on accepte de se plonger dans l'archive, c'est soi-même parmi les autres qu'on y découvre.
Les archives sont formées d'une multitude de témoignages. Elles témoignent de faits, de lieux, de la vision du monde d'une ou plusieurs personnes à un moment donné de l'histoire. Ces témoignages peuvent être d'une subjectivité plus ou moins assumée, relever d'esthétiques et de modes de fabrication divers. Pour ajouter encore à la complexité, le temps fait son œuvre et peut quelquefois donner une patine poétique à une très sérieuse hypothèse scientifique.
Nous voici donc confrontés à des sujets et à des formes qui trouvent en nous un écho variable. Nous sommes touchés, intrigués, irrités, indifférents… Il est passionnant d'essayer de percevoir ce qui provoque ces réactions. Est-ce le thème abordé ? Son traitement ? Le jeu entre les deux ? Est-ce autre chose de plus indicible, de plus difficile à nommer ? Il n'y a pas de réponse simple. Une image peut retenir notre attention sans que l'on puisse l'accompagner de mots. Les mots éclairent nos émotions autant qu'ils les schématisent parfois. Une manière d'explorer ces sentiments mêlés, c'est de remuer la matière même de ces archives, de s'en emparer, de la déconstruire, d'en faire le matériau brut d'une cohérence nouvelle, celle de notre regard.
De cette extrême diversité des archives se dégage décidément une ligne claire. Peu importe leur thème ou leur forme, c'est la figure humaine qui les hante et nous apparaît d'autant mieux que le temps a passé. C'est elle que nous recherchons, sans le savoir souvent, pour nous comprendre un peu et poser des éclairages plus vifs sur le monde qui nous entoure.
Notes à propos de l'auteur:
Emmanuel Roy est auteur-réalisateur et monteur. Il intervient dans le cadre du projet "Frontières" au niveau de l'atelier "Spectateurs" en tant que monteur depuis le mois de juillet 2010. Il a rencontré l'équipe de Lieux Fictifs au travers du montage du film "Paroles sur images", de Joséeph Césarini et Alain Dufau.
En plus de son intervention au sein des différents "ateliers Spectateurs", il travail également sur la préparation de son prochain long-métrage qui sortira en salle.
